mercredi 13 mai 2009
Capitanal et Kiwiteb: légendes trifluviennes
Les Anishnabés avaient chassé les Haudenosaunee du delta de la rivière Métabéroutin, là où ses eaux se déversent entre de belles plages dorées, sous l'ombre bénéfique de pins majestueux. Le poisson, la volaille et le gibier y étaient abondant. Les plages offraient une vue splendide sur le grand fleuve Magtogoek. C'était un emplacement de choix pour vivre, surtout l'été, loin des moustiques qui rendent la vie insupportable à l'intérieur des forêts humides du Nord-Est de l'Île de la Tortue.
Capitanal, chef des Anishnabés du coin, tirait quelques poffes sur sa pipe en contemplant le fleuve. Les affaires étaient bonnes. Mais elles n'étaient plus aussi faciles qu'avant. Les Haudenosaunee, peuple autrefois si paisible, pour ne pas dire soumis, étaient devenus de vrais démons. Leur art de faire la guerre s'était affiné.
Kiwiteb était à ses côtés. C'était un solide guerrier, ce Kiwiteb. Les Haudenosaunee le craignaient juste à entendre son nom. Il les massacrait tous, à coups de mousquets ou de tomahawk. Et c'était bon pour les affaires. Ça permettait aux fourrures et pelleteries du Nord de la rivière Mattawin de se rendre au delta de la Métabéroutin, puis à Québec où Samuel de Champlain les payait rubis sur l'ongle: des colliers et des miroirs pour leurs femmes, de l'alcool pour leur donner du courage; et puis du sucre, du sel, de la farine et toutes ces petites douceurs de la vie.
-Tu te rappelles le costume que m'a donné Champlain Kiwiteb? N'est-ce pas que j'avais l'air d'un clown? Hé! Hé!
-Ah Capitanal! Ils étaient tous éberlués! Ça c'est certain... Et moi, avec mon chapeau à plumes... Qu'est-ce qu'on a rigolé, hein?
-Méchant pow-wow, mon ami. Méchant pow-wow... répondit le grand chef Capitanal en passant le calumet à Kiwiteb pour lui permettre d'inhaler lui aussi quelques poffes.
-Ouin ben les affaires ne vont plus aussi bien qu'avant, ajouta Kiwiteb, d'un air solennel. Les guerriers font face à de plus en plus d'embuscades et ces serpents à sonnettes d'Iroquois font des incursions jusqu'à nos wigwams, ici-même. Je veux bien leur courir après et les étrangler un à un, mais on ne pourra pas y arriver tout seul. Ça se multiplie comme des lapins dans leurs grandes maisons et ça nous tombe dessus par centaines, par milliers... Et puis les Anglais donnent un fusil pour trois peaux de castor... Et les Français, une vieille pétoire pour quinze... On se fait baiser, je te dis, Grand Chef. Baiser jusqu'au trognon. On n'a pas choisi les bons alliés et on va y goûter...
-Écoute Kiwiteb, tout ce que tu dis est très sage, reprit Capitanal en reprenant le calumet. C'est très sage mais ce n'est pas utile. Pas utile parce que nous ne pouvons pas revenir en arrière. Nous sommes en quelque sorte prisonniers de cette alliance. Les Français vivent parmi nous. Nos filles ont épousé leurs fils. Et nous formons en quelque sorte un nouveau peuple. Regarde-toi, avec ton chapeau à plumes, et moi avec mon manteau de roi cousu par les Français... Le sucre, le sel et tout le reste: c'est le résultat de notre alliance. Les Anglais sont loin et, de plus, mes informateurs me disent que la France est plus puissante que l'Angleterre, une petite île de rien du tout perdue dans l'océan là-bas. Nous devons plutôt demander plus de soutien de la France, un meilleur tarif pour les fourrures, des armes, et pourquoi pas un fort, comme à Québec, avec des canons et tout pour nous protéger des Haudenosaunee. On devrait aller voir Champlain sur le champ, tiens. Et lui faire des demandes bien senties: vous voulez avoir plus de fourrures pour vos dames, en Europe? Eh bien nous on veut plus d'armes pour protéger nos petites dames et vous rapporter des fourrures. Il faut que vous investissiez, comme les Anglais le font avec ceux que vous appelez les Iroquois.
-Ce sont de sages paroles Capitanal, comme toujours. Je fume à ta santé! conclut Kiwiteb.
Puis les deux contemplèrent le coucher du soleil, souhaitant qu'il n'y ait pas de raids iroquois cette nuit-là.
Le lendemain, le grand chef Capitanal et son meilleur guerrier Kiwiteb étaient à Québec.
Samuel de Champlain les reçut dans sa grande maison et il leur fit boire des boissons exquises et enivrantes. Il leur joua un air de flute. Et il leur fit servir un pâté de foie tout à fait délicieux ainsi que du jambon en croûte au sirop d'érable. Miam, miam.
Capitanal, émut, lui dit tout ce qu'il avait prétendu lui dire dans sa discussion avec Kiwiteb. Champlain, un homme somme toute pragmatique, conclut qu'il fallait bâtir un fort aux Trois-Rivières. Il envoya donc un de ses menuisiers en chef, un vieux vicelard du nom de La Violette, pour bâtir le fort, à vrai dire le fortin. Ils commencèrent les travaux le 4 juillet de l'an de grâce 1634. Et le soir même La Violette s'accouplait avec une des filles de Kiwiteb, le chanceux.
Capitanal fit un discours ce soir-là, au pow-wow prévu pour l'occasion.
-Nos filles marieront vos fils et nous ne formerons qu'un seul grand peuple! dit-il avant de s'écrouler près du feu, ivre mort.
***
Trois cent soixante-quinze ans plus tard, les voeux de Capitanal se sont presque réalisés.
Les habitants de Trois-Rivières, les Trifluviens, sont à grande majorité des Métis. Des Métis qui s'ignorent dans la plupart des cas. Parce que l'histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Parce que les vaincus ne savaient ni lire ni écrire.
That's the way it is.
Bon trois cent soixante-quinzième de Trois-Rivières...
vraiment très bien envoyé, et plus que vrai.
RépondreEffacerpas plus tard que la semaine passé, je savais même pas que mon quartier, en fait toute Chicoutimi-Nord, la rive nord du Saguenay de Chicout, avait été battie en donnant ces nouvelles terres agricoles, quasi-sauvage, à tous ces soldats revenus de la 2e de la France. c'est également pourquoi toutes les rues du coin sont tous des noms de grandes batailles qui ont eu lieu en France (de Vimy à Delisle en passant par Cabot)
j'ai 25 ans, et c'est le genre de court d'histoire que j'aurais bien aimé avoir dans mes cours, nos vrais racines, et c'est incroyable comment on nous explique pas exactement nos propres racines, que ce soit les trifluviens ou les saguenéens. je suis ben d'accord de faire le tours de l'histoire de l'égypte et de la Vieille France et la découverte de l'Amérique, mais je me rends ben compte que l'important c'est l'histoire de mes propres racines.
et regarde où ça s'en va, personne de Chicoutimi-Nord à qui que j'ai parlé de cela, ne le savait même pas. pas même mon père ni ma mère qui sont chicoutimiens d'origines, était au courant.
je m'excuse de m'étendre sur ce sujet, mais votre billet m'a rejoins directement.
je suis heureux de posséder ces informations sur mes propres racines car c'est surtout pas dans les livres d'école que mes enfants vont le découvrir.
faut l'histoire descende à nos descendants et je pense qu'il y a eu plusieurs manques.
j'y cours, on pourrait discuter longtemps!
Ça me touche, Braincras, que ma vieille histoire de demi-sauvage-demi-civilisé te soit parvenue comme une bouteille à la mer du fin fond de ta bleuetière, là, là...
RépondreEffacerChicoutimi, c'est en langue algique, non? Et Saguenay?
On plante des barrages en pays cri et on a l'audace d'appeler ça le Barrage Robert-Bourassa, au lieu d'appeler ça le Barrage Mitogan ou le Barrage Misko. N'importe quoi pour faire chier les aborigènes et les reléguer à un rôle d'éternels seconds.
Mais le monde et les temps changent. Un métis est président des États-Unis. Peut-être que ceux qui rêvent de revoir leur Normandie dans tout ce qu'ils touchent ici vont se garder une petite gêne... Le Québec est constitué essentiellement de métis. Plus de soixante-cinq pourcent de la population l'ignore.
La ceinture fléchée, symbole du Québécois un peu patriotard, est aussi appelée un wampum chez les Wendates et les Anishnabés... Nous sommes des Métis, c'est aussi simple que ça.
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Cos' the times they are a changin'...