samedi 17 janvier 2009
L'homme qui voulait se pendre
Henri n'était ni laid ni beau, ni grand ni petit, ni jeune ni vieux, ni stupide ni brillant. Il était moyen en tout et portait toujours des pantalons et des chemises de travail de marque Big Joe. Il aimait surtout le pâté chinois. Il était célibataire. Détenteur d'un diplôme d'études secondaires. Concierge dans une résidence pour retraités. Sans amis. Sans passe-temps. Sans femme. Sans parents.
Et il voulait se pendre. Allez savoir pourquoi. Cet homme ordinaire ne vivait rien d'extraordinaire, bien sûr, mais rien qui ne justifia son suicide: pas de dettes, une télévision qui fonctionne bien, une auto payée depuis cinq ans qui part au quart de tour, un loyer propre dans un secteur paisible. Rien pour se pendre, sinon une lassitude, une pesanteur, un vide qu'il n'arrivait pas à combler.
-Bon, ben j'cré ben que j'va's m'tuer aujourd'hui, se dit-il ce soir-là en faisant patiemment un noeud coulant avec sa corde en matériau synthétique achetée à petit prix dans une quincaillerie qui vendait aussi des liqueurs douces et des friandises.
Henri en avait assez. Ça lui avait pris comme ça, tout d'un coup, bien qu'il ait passé toute sa vie à ne penser qu'à ça tous les jours: en finir une fois pour toutes.
-Bon, ben j'cré ben que j'va's aller attacher la corde que'que part dans ma shed... Ouais... J'va's m'pendre dans 'a shed. Comme ça, j'va's déranger personne.
Il trouva là une poutre après laquelle il fixa solidement sa corde, tout en calculant la distance nécessaire pour que ses pieds ballotent dans le vide tandis que la vie le quitterait pour toujours.
-Ouin... Faut j'laisse au moins deux pieds... Des fois qu'le cou rallongerait...
Il ajusta la corde puis recula d'un pas pour contempler sa potence improvisée.
Il mit les deux mains dans ses poches, pour la dernière fois de sa vie, puis vous savez quoi? Je sais que ça fait cliché mais c'est ça qui est ça: Henri trouva un billet de loto dans ses poches qu'il n'avait pas encore vérifié. Mourir avec un billet de loto non vérifié, c'est un peu con. Aussi, Henri chaussa ses bottes, mit son manteau, et se rendit jusqu'à la pharmacie du coin pour faire vérifier son billet.
Il n'y avait personne à la pharmacie, sinon la pharmacienne et le jeune commis à la caisse, un petit gros sympathique qui étudiait au cégep en comptabilité.
-J'voudrais faire vérifier mon billet s'i'-vous-plaît, lui demanda Henri.
Le jeune joufflu passa le billet dans la valideuse et, surprise, une sonnerie gagnante se fit entendre.
-Doudidoudou!
Le jeune était abasourdi. Il revérifia le billet, comme s'il ne le croyait pas. C'était pourtant bel et bien inscrit billet gagnant. Deux millions huit cent quatre vingt dix huit mille cinq cent quatre-vingt-huit dollars et seize sous.
-Vous êtes certain? demanda Henri.
-Oui monsieur, regardez, répondit le jeune commis encore sous le coup de l'émotion. Vous êtes riche! Riche! Oua! J'suis content pour vous! Oua! Mes amis m'croiront jamais! Oua!
Henri reprit son billet, placidement. Il devait se présenter à Montréal le lendemain pour encaisser le gros lot. Bon. Ça voulait dire aussi qu'il devait remettre son suicide à plus tard.
-Bon, ben, j'cré ben que j'me suiciderai pas aujourd'hui moé là, se dit-il sur le chemin du retour.
Il décrocha la corde après la poutre de sa shed. Rangea la chaise. Se fit du café.
Il ouvrit la radio et après avoir joué avec tous les postes s'arrêta sur un air de musique country.
-C'est bon ça. C'est Willie Nelson.
Et c'était effectivement Willie Nelson.
belle histoire. ça tient à peu de choses, souvent.
RépondreEffacerça m'est arrivé un fois, pareil. pas avec une corde, mais avec de l'insuline et des cachets. me suis juste dit que pour faire ça bien, ça aurait été mieux d'avoir un peu de pikole, histoire de se mettre bien. alors chuis allé en chercher, en me disant dans la voiture "cette fois-ci c'est la bonne", me voyais déjà en partance pour l'au delà, sur fond de billie holiday, en pleine grace koi, comme pour mon premier suicide (le meilleur je crois, parce que le plus pur). et puis en fin de compte, pareil, j'ai foutu la musique, avalé quelques cachetons, manière... puis en écoutant johnny cash, "cry cry cry", et leadbelly et son "irene", me sentais un peu comme chez moi. en osmose avec ces ames qui me parlaient depuis les baffles de la sono. et quand billie a débarqué avec son "you go to my head", j'ai éclaté en sanglots de beauté pure, comme quand t'es bien bourré et donc, forcément en contact avec quelque chose de mieux qu'un steak frite et un café au milieu de la foule paranoïaque... alors j'ai foutu billie et "you go to my head" en boucle sur mon lecteur jetaudio que j'ai sur l'ordi portable, en bouffant un dernier cachet et avalant une dernière lampée de vodka "on/off", puis chuis parti dans les vaps, tranquille, en pensant à du violet, des anges, ce genre de conneries... le bouddha, je crois qu'il avait compris pas mal de choses... vas t'en leur expliquer...
RépondreEffacerJo, t'es vraiment un champion.
RépondreEffacerJ'ai eu un satori, un soir de déprime, en lisant Le livre tibétain des morts. Ça disait, essentiellement, que l'âme du défunt va traverser bien des mondes et voir bien des monstres avant que d'atteindre le nirvana. L'âme doit se rendre compte que tout cela n'est qu'un produit d'elle-même, à chaque étape, avant de passer à l'autre étape, l'autre paragraphe, l'autre chapitre...
Juste avant de commencer la lecture du livre, il y avait cette note en exergue qui disait que le Livre tibétain des morts s'adressait aux moines qui n'avaient pas atteint l'Éveil et que les autres n'en avaient pas besoin.
Je suis un peu ces autres. J'ai donc mis le livre de côté en me disant que je n'avais pas besoin de le lire.
Puis j'ai allumé la radio et je suis tombé sur l'Ave Maria de Schubert.
Depuis je me dis que tout ça n'est qu'une farce et je me sens vraiment mieux.
ce qui me fait chier, c'est cette ironie que je capte dans ton discours. un peu comme l'autre enfoiré de sataniste qui rigolait accoudé à la bagnole avec le type au cou rouge, quand poète était aller pisser, et que je l'avais suivi avec le couteau pour le protéger, au cas ou... en fait, il valait que dalle le bouc qui était là-bas, il a même flippé quand je me suis approché, t'imagines ? une fiotte de bouc barbichonée de satan et tout le tralala... me suis rendu compte que j'étais pas moins un homme que tous ces trucs alentour et qui grésillent sans arrêt, dans mon ame, à ce moment là... tain, ça souffle dehors, le vent... m'en fous, tant que je suis à l'intérieur. si ça chie après, ça fera chier sur le moment. faut juste espérer que ça dure pas trop, en ce disant qu'y en aura pour des siècles, histoire de prendre la patience sur toi, pendant que ces cons t'arrachent la bite et les boyaux, en regardant le ciel, et en s'imaginant être une supernova..
RépondreEffacerbon, me barre. tiens, un lien youtube : http://fr.youtube.com/watch?v=B_1f1qM0voo
tu sais, faut pas m'embrouiller comme ça... tain, quand ils parlent d'aller loin, ça m'angoisse, sérieus. z'ont des projets, tout un tas de conneries dans le genre : "le présent, la beauté, le futur, les enfants-technologiques, choisis sur carnet", putain, je me dis à chaque fois que je dois vraiment en avoir rien à foutre depuis longtemps, parce que là, j'essaie même plus de m'intéresser. par contre, ça, ça me fait planer en attendant la porte de sortie, et ça détient en soi une sorte de vérité ultime et en plus, universelle...
RépondreEffacerçA : http://fr.youtube.com/watch?v=n7CuJ8cR9sg
(écouter juste la chanson, pour les gens qui avaient 10 ans dans les années 80, et pas regarder les images)
allé, bon, je me casse, salut. j'aime bien tes textes, parce que ça me parle. de moi. je me retrouve dedans, t'assure. bise.
RépondreEffacerme sens mieux aussi en me disant que tout ça n'est qu'une farce. ça fait chier pour ceux qui sont partis trop tôt. j'aurais aimé savoir leur expliquer sans mauvais esprit. sans le cynisme du vaincu, mais en retrouvant la paix de quand la vodka te rend lucide et stable. quand tu sens de "l'amour", n'ayons pas peur du mot, et même si c'est pas de l'amour, c'est quelque chose qui établit un lien tranquille entre les choses. les regards qui fuient, tu peux pas les rattraper forcément... tu touches un main pour le réconfort, sans idée malsaine, et ça finit par faire mal en face, à cause d'un mal être qui ne peut plus communiquer. et ton geste de fraternité se transforme en monstre dans la tête du "dingue". compliqué des fois. pas grave, santé!
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