vendredi 5 décembre 2008
RIEN DANS L'OEIL À LA VEILLE DE NOËL
Une neige folle tombait sur la ville endormie.
Une ombre massive se lovait sur cette neige qui formait au sol un blanc édredon.
Tout au bout de cette ombre s'élevait une créature simiesque recouverte de vêtements laids et bon marché, dont un vieux manteau de fourrure miteux de femme aux manches coupées. Le visage qui sortait de cette boule de poils n'était pas beau. C'était celui d'un hostie de perdu comme il y en a tant au centre-ville, un vieux christ de cave d'ivrogne, vieux et laid, puant, rebutant, ignorant, couinant, bref solitaire.
On ne lui connaissait pas de nom ni d'ami. C'était cette vieille chose qui marchait dans les rues du centre-ville, été comme hiver, avec un manteau de fourrure de femme aux manches coupées qui lui conférait un air préhistorique, un air soutenu par le fait que tout ce qui sortait de sa bouche était à peine audible. Et couinant, comme il a été dit plus haut.
-Ronk! ...pas... hee... guoui... deux...
Le vieux avait une araignée dans le plafond. La neige tombait. Et il était une ombre qui se lovait sur le blanc manteau de neige, avec son hostie de manteau de fourrure de femme aux manches coupées.
C'était la veille de Noël. Le gros christ de fucké se parlait à lui-même.
-Ronk! ...pas... hee... guoui... un... couinait-il.
Et là, comme je les croisais, lui et son ombre, j'ai vu dans son oeil quelque chose comme le vide. Je vous jure: rien. J'essayais de me faire accroire qu'il y avait un destin tragique, que c'était un ancien professeur de philosophie devenu fou, que sa femme et ses enfants étaient morts noyés, n'importe quoi pour me rendre ce vieux christ sympathique, eh bien non, il n'y avait rien. Je sentais que la vie de cet homme n'avait été qu'un grand rien. C'était pourtant Noël. Et voir le vide, et ne discerner que du néant chez un homme, n'est-ce pas un vice majeur contre toute la chrétienté et ses dépendances?
Il fallait donc que je parle à cette créature pour en finir avec ma déchéance morale et me redonner un peu d'humanité.
-Bonsoir monsieur! que je lui ai dit.
J'ai oublié de dire qu'il n'était pas grand. Il m'arrivait à peine en dessous des aisselles. De sorte qu'il a dû relever la tête pour voir d'où venait ce bonsoir monsieur auquel il n'était visiblement pas accoutumé.
-Ne... mye... oh... Ronk!
Il m'a dit ça sur un ton égal. Et il ne bougeait plus, planté devant moi comme s'il attendait la suite de la conversation.
-Bonsoir monsieur! que je lui ai redit, ne trouvant rien d'autre à redire.
Et vous savez ce qu'il a fait, le vieux puant au crâne chauve, aux sourcils touffus, à l'oeil éteint, aux lèvres pendantes, aux dents cariées, à la barbe de six jours, aux oreilles molles, au dos rond, aux doigts secs et tordus, aux pieds chaussés de bottes de caoutchouc, au... ?
Le vieux n'a rien dit. Il a courbé la tête vers le sol et il a repris sa claudication dans la nuit.
Il a continué son chemin sous la neige folle, avec son manteau de fourrure de femme aux manches coupées.
Son ombre se lovait sur la neige duveteuse qui formait à ses pieds un blanc édredon.
Je n'ai pas réussi à chasser cette image et ça remonte à plus de trois ans.
C'était une vision de ma veille de Noël en 2005.
Et pourtant, rien. Je vous dis qu'il n'y avait rien dans son oeil.
Juste un grand vide.
-Ne... mye... oh... Ronk! couinait-il.
Ça me fait penser au Pigeon de Patrick Süskind, sans le background de Noël.
RépondreEffacerIl devait marcher vers la grande manifestation du rien...
RépondreEffacerJe suis vaguement artiste, mais je ne suis pas nihiliste.
RépondreEffacerÀ l'instar de Camus, je considère l'absurde comme étant un point de départ, et non un point d'arrivée.
Ces considérations philosophiques sont malheureusement nécessaires quand je traite du Rien.
***
Je n'ai lu que Le Parfum de Süskind. J'ai arrêté après les quarante premières pages. Je ne me souviens plus pourquoi. Ce n'est pas que c'était mauvais. Il faudrait pouvoir tout lire...