lundi 13 octobre 2008
Action de graisse
C'est l'Action de graisse aujourd'hui et ce jour n'évoque rien de particulier, sinon du jambon, du manger, bref c'est une journée comme une autre pour moi qui n'ai jamais perdu l'appétit sinon il y a trois mois, quand j'ai attrapé une salmonelle quelconque, peut-être la mystériose. Et encore, je suis allé m'acheter des chips à la pharmacie.
Voilà pourquoi je vais vous parler du manger. C'est don' bon du bon manger, hein?
Mon père disait souvent «on n'est pas riche mais le frigidaire est plein». Cette maxime, qu'il me semble avoir entendue dans un monologue de Yvon Deschamps, je me la répète encore aujourd'hui.
-Y'en a qu'i' ont des chars dans cour, disait mon père, mais pas d'argent pour mettr' du gaz pis pas d'manger dans l'frigidaire. Nous autres, ben tu ouvres la porte pis tu t'prends du fromage, du yogourt, des pommes, du jambon cuit, des oranges, des p'tits gâteaux, du chocolat, d'la liqueur, n'importe quoi, parce qu'on s'nourrit au lieu de nourrir un char! Pis c'est don' bon du bon manger, hein? Y'aime ça du bon manger mon beau p'tit Guétan?
-Oui Pa! C'est don' bon du bon manger! J'en veux encore M'man! C'est bon! C'est bon du bon manger!
-Vous avez pas d'fond vous autres! répondait ma mère en riant. C'est pas des enfants! C'est des ogres!
Comme mes parents avaient quatre gars de plus de six pieds deux cents livres à nourrir, c'est clair que c'était là une très belle philosophie, remplir son frigidaire plutôt que d'avoir un char. D'autant plus qu'on avait besoin de marcher après avoir pris nos huit repas par jour. Heureusement qu'i's avaient pas d'char, les Bouchard... Autrement on aurait tous peser dans les huit cents livres chacun.
On mangeait en sacrement chez-nous. Moi pis mon frère Ti-Noir, surtout. Ti-Noir, le deuxième des quatre Dalton, avait plus d'appétit que moi, selon moi, mais ce n'est qu'une opinion bien subjective. Le fait est que je l'ai déjà vu se tartiner huit sandwiches au baloney, et je dis bien huit, pour les engloutir en moins de quinze minutes. Mettons qu'après la deuxième, moi, je variais le menu. Ti-Noir faisait du kick-boxing dans le temps, catégorie poids lourd... Fuck! J'aurais pas aimé manger un coup de pied dans face de lui, surtout après ses huits sandwiches au baloney.
J'ai donc été élevé dans la religion du bon manger et, à l'Action de graisse, on se tapait du jambon, des omelettes géantes, avec la machette libre-service plantée en travers de la brique de fromage Descôteaux achetée à l'ancien marché public du centre-ville. Ç'aurait pu être aussi du roastbeef, du poulet, du steak, n'importe quoi pourvu que la gourmandise de tout un chacun soit pleinement assouvie.
On se gavait. On se tapait deux à trois à quatre assiettes. Et on recommençait. Et on se claquait du dessert, des montagnes de dessert, des grands-pères dans l'sirop, du pouding au chômeur, des tartes au sucre, des tartes aux oeufs, des tartes aux pommes, arrosés de larges rasades de Kik Cola ou de Radnor Spécial, dans des verres en format géant, pas des dés à coudre, mais de quoi y mettre au moins une bonne pinte.
Pis on rôtait, en se faisant dire par nos parents de ne pas rôter, eux qui finissaient tout de même par rôter, en camouflant leurs burps tout en se foutant une main devant la bouche.
Et on était heureux, heureux comme on l'a toujours été aux repas, lieu de prière familiale par excellence, où tout le monde communie, tout le monde s'empifre, tout le monde s'aime, comme des lions repus.
Nous étions six, dans Notre-Dame-des-Sept-Allégresses, à combattre la faim à notre façon, en la cajolant, en lui donnant l'envie d'avoir encore plus faim.
Bien qu'outremangeurs notoires, nous étions tous sportifs. On ne peut pas dire qu'on passait tout notre temps à faire du lard. Une fois que nous avions eu plus que notre ration quotidienne de charbon, la machine humaine se mettait en branle et pouvait faire cent fois ce que le commun des mortels ne pouvait faire qu'une demie fois. Ce qui fait cinquante fois si vous savez compter.
Je traversais des lacs à la nage et faisais Trois-Rivières-Québec à vélo après avoir mangé comme un cochon. J'ai tellement bouffé que je vais aller à fond de train jusqu'à mon dernier souffle...
Mangez tout ce que vous voulez mais faites du sport. Ce qui fait qu'on supporte tous très bien notre graisse, chez-nous. Et ce qui fait que nos frigidaires sont toujours pleins. Tu viens chez-moi et tu ouvres la porte et, tiens, prends-toi du fromage, du yogourt, de la viande, fais-toé des toasts au Cheese-Whiz, n'importe quoi, ce que tu veux. Et si t'es chanceux, il y aura un dessert de ma blonde qui traîne quelque part, de quoi te rouler à terre de bonheur et de contentement.
Évidemment, c'est figuratif.
Si tu viens vraiment chez-moi sans que je ne t'aie invité, je vais juste t'envoyer chier.
Même si c'est l'Action de graisse.
À moins que tu ne m'apportes un petit quelque chose à grignoter.
Je pourrais me laisser amadouer.
-Guétan! Y'a quelqu'un qui cogne à porte, Bé! Y'a un chevreuil sous les bras...
-Ok, laisse-lé entrer lui! Megwetch!
T'as réussi à me donner envie de manger du baloney, c'est pas rien.
RépondreEffacerLe pire là-dedans, É., c'est que je n'en mange plus depuis un bon quatre ou cinq ans...
RépondreEffacerJ'aime mieux la cuisine du Docteur Ballard.
Lyes !
RépondreEffacerAh ben crisss !
RépondreEffacerJ'parle pas d'ta cuisine, lablonde, j'parle du Docteur Ballard! Manière de parler... Comme si la bouffe à chien accotait le baloney... Même si je ne mange pas de docteur Ballard... pis hee... finalement... ben... plouf! Ma joke est ratée.
RépondreEffacerOk, ben on fait la paix, pis ce soir on s'ouvre une canne pour souper !
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