vendredi 1 août 2008
Teddy est toujours vivant
Ça fait 12 ans aujourd'hui que mon père est décédé.
Il est vivant chaque fois que je me regarde dans le miroir.
Je lui ressemble comme deux gouttes d'eau quand il avait quarante ans: les yeux d'Indien Lakota, la carrure d'Obélix, les grosses paluches et tout le reste.
Il m'arrive souvent d'être abordé dans les rues de Trois-Rivières par des inconnus qui ont travaillé avec mon père à la compagnie d'aluminium Reynold's de Cap-de-la-Madeleine.
-Toé, mon gars, tu doés sûrement être le fils à Teddy! qu'ils me disent en me contemplant des pieds à la tête, comme si j'étais un spectre.
Teddy, c'était le surnom de mon père.
Pour mon père, son surnom s'écrivait plutôt T.D., en hommage à son idole de jeunesse, un certain T.D. Bouchard, député libéral de Saint-Hyacinthe, principale bête noire de Duplessis et du clergé, ardent promoteur du droit de vote des femmes, des droits des travailleurs et de la laïcité.
T.D. s'opposait fermement au nationalisme à la sauce Duplessis parce qu'il était fermement en faveur du progrès. Mon père, élevé dans la pauvreté, dans une famille de dix-huit enfants de la vallée de la Matapédia, l'avait choisi pour héros.
-Pendant que les Anglais apprenaient à lire pis à compter, me disait souvent mon père, les Français apprenaient l'histoire pis le p'tit catéchisme tabarnak! J'te l'dis mon gars, c'était la Grande Noirceur... Pas d'électricité pis une bécosse dans la cour... L'hiver, il y avait du frimas après les murs pis on entendait les clous péter! Ben, i' nous fallait des gars comme T.D. Bouchard pour qu'on crisse dehors ces hosties d'suçeux de balustres! Souviens t'en mon gars, l'honorable T.D. Bouchard, député libéral de Saint-Hyacinthe...
Ironiquement, ma blonde est une fille de Saint-Hyacinthe. Le destin m'a ramené vers le pays de T.D. Bouchard où j'ai trouvé ma féministe de belle blonde.
Évidemment, je ressemble autant à Teddy du point de vue physique que psychique.
J'ai longtemps combattu cette image de «Teddy junior» et, que voulez-vous, elle me colle à la peau. Pour rappeler aux gars de la Reynold's et à tous ceux qui ont connu mon père que Teddy est toujours vivant.
Comme lui, j'en ai à découdre avec les nationalistes.
Comme lui, je suis féministe, libéral (au sens philosophique et non politique, la nuance est importante...), et anticlérical.
Je suis tout aussi contradictoire qu'il ne l'était.
C'était un membre du Parti libéral du Québec qui a voté Oui au référendum de '80.
C'était un anticlérical qui occupait les fonctions de marguiller à l'église de la paroisse Notre-Dame-des-Sept-Allégresses, à Trois-Rivières.
Bref, c'était lui. Un homme un peu gêné qui devenait rapidement gênant quand il se dé-gênait, que dis-je, se déchaînait.
Il ne fallait pas lui piler sur le gros orteil.
Ni croire un seul instant qu'il allait se laisser intimider par qui que ce soit.
Il pouvait être menaçant dans un contexte d'injustice et, heureusement, il se contrôlait en ne buvant que du thé Salada et de l'eau. Autrement, je crois qu'il aurait fait sauter le couvercle de sa marmite pour donner quelque chose qui ressemble à moi, un Teddy junior turbulent.
Bon, la nostalgie...
Douze ans que Pa, mon grand chef, est mort d'un cancer.
Il n'a jamais voulu parler de sa maladie tout le temps qu'il était malade.
Il a continué à boire de l'eau et du thé Salada plutôt que de prendre de la morphine et avoir l'air légume.
Il n'en a pris qu'à la toute fin.
Il gardait tout par en-dedans.
Il n'y a qu'à ce titre que je ne lui ressemble pas du tout.
Pour le reste, je suis le gars de Teddy, ça ne fait aucun doute.
Ouais, Teddy est toujours vivant.
Je l'imagine en train de me lire ce matin et il rigole.
-Ah ben toé mon voyou d'track! me dit-il, en parfait pince-sans-rire. Mon buveur de Black Label!
Fuck! C'est con à dire, mais mon père était mon ami.
Il me comprenait mieux que quiconque parce que je me crisse de toute, comme lui.
Je me crisse de ce que les voisins vont penser.
Je me crisse de ce que mes propos auront pour conséquence au plan de ma carrière.
Je me crisse de ma carrière.
Je vis avec ma petite troupe, à la maison, et le principal c'est que le réfrigérateur est plein. Le reste, fuck off.
Je suis trop vieux et trop con pour faire le singe, pour jouer le jeu des autres, à la façon des autres, alors que je ne gagne jamais rien à ces jeux-là.
Je vais jouer ma partie à ma façon, sans fermer ma gueule, sans taire mes opinions, même si elles sont siphonnées, juste parce que je suis le fils de Teddy tabarnak!
Donc, gare à vos fesses ma gang d'hosties d'suceux de balustres!
***
En passant, je ne bois plus de Black Label, Pa, alias Grand Chef.
Je devrais bientôt recevoir ma carte de membre de l'Alliance Autochtone.
Et je bois seulement de l'eau et du thé vert.
Tiens, je te laisse sur une chanson de ton meilleur, Jean Lapointe.
Méo Penché, tu te rappelles?
Le ring c'est mon affaire. Je veux massacrer l'adversaire, comme toi, comme Méo Penché...
Cher Gaétan,
RépondreEffacerTrès bel hommage à notre grand chef, à notre T.D., à notre père. Il nous manque. Me semble qu'il aurait prisé nos prises de bec. Lui qui aimait tant semer entre nous une fraternelle zizanie...
Christian
P.S. Mon commentaire d'hier ne figure pas sur ton blogue, un oubli?
Mon cher T.D. junior,
RépondreEffacerQuand tu dis que tu lui ressembles, on peut calculer une fois et demi de plus, c'est sûr. Il me manque moi aussi énormément. Tu aurais pu raconter l'anecdote de la "claque" dans la cour de la Wabasso ou la botte d'eau qui m'appartenait. Christian m'a dit que tu écrivais très bien. Certe je suis d'accord mais tu utilises beaucoup de mots grossiers mais à mon regard, ils ne font pas honneur à ton intelligence et ton bagage intellectuel.
Ton frère qui pense à toi avec énormément de fierté.
Mick-Mick, Butch, plomb dans l'front... Bye