dimanche 10 août 2008
LES DIMANCHES M'ONT SOUVENT FAIT CHIER
Les dimanches m'ont souvent fait chier. D'abord, tous les dimanches furent marqués par la maudite messe, ce que je détestais le plus au monde. Je remerciais cependant l'artiste-peintre d'avoir suffisamment donné de coups de pinceaux sur les voûtes de mon église. Tous ces tableaux de Saint-François-d'Assise, ces petits moutons et ce Dieu avec une grande barbe blanche, cela m'occupait l'esprit pendant cette messe soporifique où il fallait répéter toujours les mêmes bêtises. Franchement, cela manquait d'imagination. Le curé ne faisait pas assez artiste, même si c'était le meilleur d'entre eux, un curé qui a défroqué pour vivre avec une femme, donc un homme tout ce qu'il y a de plus en chair et en os. Aurait-il quitté le clergé pour vivre avec un homme que j'aurais dit la même chose, avec respect.
L'art, c'est tout ce qui me réconciliait avec l'église, le dimanche.
Pendant que le curé récitait sa messe ou livrait son sermon, mon regard vagabondait d'une fresque à l'autre et, je vous jure, cela ressemblait à un trip d'acide, tous ces saints illuminés, ces lumières qui percent les nuages, cet homme volant, wow!
Il y avait aussi ces scènes de flagellations et de châtiments que l'on appliquait aux criminels sous l'empire romain qui étaient très criantes de vérité. C'était sculpté avec minutie malgré certaines disproportions des corps. On voyait les gouttes de sang couler le long du visage angélique du hippie que l'on envoyait au supplice. Étrangement, je trouvais ce hippie sympathique, bien que je me sentais plus près, intellectuellement parlant, du larron le plus sceptique des deux, celui qui disait «on est dans la merde et on ne s'en sortira pas vivants les mecs!» Son visage n'était pas angélique, celui-là. Il avait l'air en beau tabarnak tandis que les autres mourraient sur la croix presque dans un élan d'extase.
Pardonnez-moi ce petit aparté anticlérical. C'est d'autant plus mesquin que l'église catholique est sur une civière au Québec, dans le corridor de la morgue, pour laisser de la place à d'autres sectes qui causeront tout autant de ravages psychologiques et d'accès de démence incontrôlables.
Parler des dimanches renvoie inévitablement vers l'église. Et l'église, c'est certain, je l'ai toujours eue un peu de travers. C'est pas de ma faute si je pense.
Je me suis rebellé vers quatorze ans. J'avais fait le tour des tableaux, des statues et des figurines. L'organiste n'était plus très bon. La chorale croassait plus qu'elle ne chantait. Bref, je ne pouvais plus faire semblant de ne pas être athée pour ne pas déplaire à mes parents.
J'ai commencé par détourner l'argent que mes parents me donnaient pour la quête en l'investissant dans les jeux vidéo de la salle de pool de la rue Godbout, à Trois-Rivières. Évidemment, je jurais un peu dans le décor, avec mes habits du dimanche, mais comme je traînais mon frère avec moi, nous étions deux pour riposter. Et on nous crissait la paix.
Mon frère n'aimait pas que je le détourne de la messe car il ratait notre voisin, monsieur Peps, qui nous payait toujours des frites au casse-croûte Le Grillon, sur la rue Laviolette, juste après la messe. Je lui faisais rater les frites avec mon anticléricalisme en plus de ruiner ces chances d'avoir un beau dossier devant le Créateur. Heureusement, il n'a jamais cédé d'un pouce à mon incrédulité pathogène.
J'ai fini par m'affirmer ouvertement vers quinze ans.
Je me souviens parfaitement de la dernière messe à laquelle j'aie assisté, à cette époque.
Il y avait dans ma paroisse une secte dans la secte des Franciscains, elle-même secte de l'église catholique, une secte chrétienne comme vous le savez tous.
Cette secte voulait pousser vers son apothéose les voeux de pauvreté et de simplicité de François d'Assise. Elle avait été fondée par un moine franciscain dissident, un genre de hippie catholique qui voulait enseigner l'amour et son interprétation de l'amour divin.
Grand, bien en chair, avec une belle et longue barbe blanche, l'imitateur de Saint-François demeurait tout de même dans le giron de l'église catholique. Il assistait à la messe, tous les jours, avec les membres de sa secte, tous barbus, qui jouaient souvent au hockey avec les jeunes dans les parcs ou les ruelles. Pour ce que je sais de leurs techniques d'évangélisation, ils ne parlaient jamais de Dieu. Ils jouaient juste au hockey. Donc, ils ne dérangeaient personne, les petits pères.
À la dernière messe que j'ai assisté, le Père Noël de la secte était bel et bien là, plus en forme que jamais. Il s'était levé pendant le sermon du curé, le père Didace, un fils de bûcheron de La Tuque à la voix couillue. Le père Didace racontait une blague, la fois où le hippie était entré dans le temple, à Jérusalem, pour chasser les marchands à grands coups de fouets tout en renversant les tables.
-Non! Jésus est Amour! hurla le Père Noël dissident des franciscains. Debout, les yeux révulsés, l'écume aux lèvres, il continuait de hurler en postillonnant. L'écho amplifiait sa voix et lui conférait un relief tout particulier dans le vide sidéral d'un sermon plate.
-Jésus n'a jamais donné de coups de fouet! qu'il rajouta. Jésus était Amour! L'Amour était dans le verbe divin! L'oint du Seigneur! Le Paraclet! La symbiose entre l'Amour du Créateur et sa créature dans l'infini firmament de l'amour divin, hosannah au plus haut des Cieux!
Wow! que je me disais. La messe est fuckée aujourd'hui!
Le père Didace n'allait pas laisser passer ça. Comment oser troubler le silence de sa messe?
-Vous êtes un mécréant! hurla le père Didace. Sortez-le d'ici! cria-t-il en indiquant à son bedeau et ses marguilliers la voie à suivre.
Le bedeau et les marguilliers foncèrent sur Saint-François et, saisissant chacun un de ses quatre membres, laissant le cinquième bien à sa place, ils lui firent une sortie qui ressemblait étrangement à une montée en croix.
Le hippie qui avait osé affronter le père Didace se fit foutre à la porte de l'église manu militari.
Ma mère, qui était avec moi ce jour-là, et qui n'aimait pas la chicane, m'entraîna vers la sortie avant que la messe ne soit finie, ce qui était en soi une première.
Arrivé à la maison, j'ai déballé mon sac, comme l'émule de Saint-François, en excluant Dieu.
-Dieu n'existe pas, que j'ai dit, simplement.
C'était l'argument massue pour ne plus aller à la messe. On ne pouvait plus m'envoyer de force à la messe parce qu'on craignait que je ne fasse une explosion d'opinions en pleine église, comme le christ de fou des petits pères dissidents franciscains... Évidemment, je me servais de lui pour que ça soit bien clair que je le ferais, comme lui, si l'on me forçait encore une fois à me morfondre à l'église.
-Si vous m'envoyez de force à la messe, j'vais crier que je ne crois pas en Dieu!
-Maudit mécréant! entonnait mon père. Même les Témoins de Jéhovah ont une religion!
Celle-là, je vous avouerai que je ne l'ai jamais comprise. «Même les Témoins de Jéhovah ont une religion.» Je cherche encore à comprendre ce qu'il voulait dire. Cependant, Pa' et M'man me laissèrent tranquille avec l'église. Comment pouvaient-ils faire autrement?
Bien sûr, on m'a traité un temps de mécréant et d'incrédule, mais l'amour divin et familial a eu raison des opinions. Si Dieu existe, il comprendra que j'avais besoin d'un break de Dieu. S'il n'existe pas, eh bien j'aurai vu clair et n'aurai pas perdu ma vie à m'agenouiller pour rien.
Aujourd'hui, les dimanches ne me font plus chier.
Je les savoure en parfait sybarite, en mangeant du raisin, en buvant du vin, en faisant le tour des galeries d'art, des cafés, des sites Internet.
C'est que les athées ne sont pas nécessairement des gens austères et tristes. Ni nécessairement du mauvais monde qui menace de vous étrangler au coin de la rue. Des caves, il y en a dans toutes les couches de la société, chez les croyants comme chez les incroyants. Staline était athée et, comme qui dirait, I won't give a shit for that. C'est juste que je ne veux pas me faire chier le dimanche, en somme, à faire semblant de croire en quelque chose que je ne crois pas.
Alléluia!
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