vendredi 15 août 2008
ILS ÉTAIENT TOUS SUR SON «CAS»
J'ai connu un gars qui porte mon deuxième nom de baptême catho, Fernand, et qui se gelait en sacrement en plus d'être schizo. À jeun il était gelé. Imaginez lorsqu'il n'était pas à jeun!
Trapu, robuste, avec un trou dans le sourire, une canine manquante quoi, je dirais qu'il ressemblait vaguement au chanteur du groupe Les Vilains Pingouins, mais je pourrais tout aussi bien être complètement dans le champ, je veux dire dans les patates.
Je le croisais souvent au hasard de mes promenades dans le quartier Ste-Cécile, le Bronx de Trois-Rivières. Il faut dire que Fernand habitait à quelques pas du dépanneur où j'allais de temps à autres m'acheter de quoi me rafraîchir un peu le gosier.
Fernand vivait dans un coqueron écrasé sur un coin de ruelle. Son logement n'avait qu'une seule fenêtre où flottait un fleurdelisé en guise de rideaux.
Chaque fois qu'il me voyait, il m'appelait Fernand, bien sûr, qui est aussi le nom de mon parrain, vous vous doutez bien. Mon parrain Fernand, duquel j'ai hérité mon goût pour la musique, en plus du prénom de baptême. C'était un sacré harmoniciste, mon oncle Fernand. Feu mon oncle Rémi, son frère, giguait comme un vrai une fois qu'il avait un petit verre dans le nez. Ma tante et ma mère chantaient pendant que l'un jouait de la ruine-babines et que l'autre giguait. Je me sens pleinement en dettes envers eux. Je suis leur rejeton musical, y'a pas de doute. Je ne peux pas le renier.
Je reviendrai plus tard sur la famille, chers lecteurs, car mon histoire risque de s'embrouiller. Déjà, je ne sais presque plus où j'en étais. Si ça continue, je devrai tracer des plans avant d'écrire, monter des fiches, des statistiques, des dossiers... C'est à ce moment que je cesserai probablement d'avoir du talent. Donc, je poursuis comme d'habitude, d'une digression à l'autre, et si vous ne supportez pas ça, eh bien allez lire sur ce site.
Fernand, donc, vivait dans un coqueron. Il lui manquait une dent, une canine. Et il grattait sa guitare, son cul posé sur une des marches de son petit escalier. J'arrêtais toujours pour le saluer. Je n'avais pas le choix. Il gueulait dès que je passais en me faisant de larges signes des mains.
Et il m'appelait Fernand, il ne l'avait pas oubliée celle-là, Joseph-Fernand-Gaétan...
-Fernand! Viens prendre un café Fernand!
-Comment ça va Fernand? que je lui disais.
-Super. Et toi Fernand?
-Ça va bien Fernand. Ça va bien...
Tout en faisant le café il me jouait deux ou trois airs de guitare tonitruants. Ils sciaient presque ses cordes à grands coups de pics. Le son était affreux. Au bout de quinze minutes, exaspéré sans trop le faire voir, je lui enlevais la guitare des mains pour jouer un petit blues un peu plus calmos.
Et c'est là que Fernand se mettait à me raconter ses histoires de voyages astraux et ses accès de démence passés. Il contrôlait maintenant sa schizophrénie avec un médicament dont le nom m'échappe. Ça finit en «um». Et Fernand, pour que ça rime, prenait son médicament avec du rhum. Il en mettait de bonnes lampées dans mon café. Et il racontait, n'importe quoi, n'importe comment, pourvu que ce soit flyé.
Je me rappelle entre autres cette anecdote qu'il m'a racontée. J'écris depuis tantôt pour en arriver là... Quel mal je me donne. Un paragraphe aurait suffi. Et voilà que je m'étire encore...
Je me ferme la gueule, promis.
Je vais plutôt laisser Fernand vous la raconter.
-J'vivais juste à côté du bureau du BS au centre-ville. J'étais fucké en hostie dans c'temps-là. Ma fenêtre, au troisième étage où j'habitais, donnait en plein sur les fenêtres du bureau de l'aide sociale, le BS, pis j'les voyais classer des dossiers pis taper des affaires sur leur ordi... Ben j'te mens pas, Fernand, j'étais tellement fucké que j'pensais que tout ce monde-là travaillait sur mon dossier pis qu'ils m'observaient soirs et matins. J'sniffais d'la poudre en calice en plus de ma maladie... Quand j'devais aller au bureau de BS pour aller chercher mon chèque j'paranoïais en st-chrême! J'étais sûr qu'ils étaient tous sur mon cas, que les gens qui étaient là, même les assistés sociaux, étaient des figurants, payés pour m'observer. J'traînais un couteau de chasse sur moé, au cas où. Une chance que personne ne m'a jamais sauté dessus! Hein Fernand? Ha! Ha! Ha!
-Hee... Pis aujourd'hui ça va-ti mieux? lui demandé-je, un peu inquiet.
-Oui! Numéro un. Tiens Fernand, prends donc encore du rhum! C'est bon du rhum! me dit-il en arborant son plus beau sourire troué.
Il versa encore du rhum dans mon café, bien que j'aie fait signe que j'en avais assez.
J'ai donc bu un bon vingt onces de rhum, en trente minutes. C'est la cadence à laquelle buvait Fernand. Et, au bout de trente minutes, je le quittai, subitement, de crainte qu'il ne coure après moi avec un couteau de chasse.
À part de ça, c'était un ben bon Jack.
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