Faisons un peu de philosophie, tiens, puisque c’est dimanche.
Diogène le cynique, alias le chien, ça vous dit quelque chose?
Bon, au risque de prendre un ton didactique, je vais me contenter de rapporter une anecdote qui le concerne.
Pour l’arrière-fond historique, contentons-nous de quelques idées reçues. Diogène était un philosophe grec qui vivait au temps d’Alexandre le Grand, Socrate, Platon et Aristote. Diogène vivait dans un tonneau, près des portes d’Athènes. C’était un hippie en son genre qui prétendait pouvoir vivre d’un rien. Il pratiquait la simplicité volontaire hard-core en quelque sorte.
Certains le prenaient pour un fou, d’autres pour un sage. Dont ce jeune homme, appelons-le Zorba, tiens, qui voulait tirer profit de la sagesse de Diogène et devenir son disciple.
Zorba se présenta donc à Diogène et lui tint à peu près ce langage :
-Diogène, je veux devenir ton disciple. (C’est un peut court, je sais, mais qui peut vraiment savoir comment l'on devenait disciple de quelqu’un en ce temps-là, hein? Bon, je recommence.)
-Diogène, je veux devenir ton disciple!
-Ah oui? Hum… (Réfléchissant tout en se grattant le ventre.) Parfait. Tu vois le poisson là-bas, près de la berge?
-Tu veux dire le poisson pourri, couvert de mouches?
-En effet.
-Bien. Et qu’est-ce que je dois faire?
-Va le chercher, attache-le toi dans le dos et suis-moi.
Zorba fit tout ce que Diogène lui avait dit. Il surmonta sa suffocation du mieux qu’il le pouvait face à l’odeur répugnante du poisson qui exhalait un parfum de putréfaction avancée. Zorba comprenait qu'il y ait nécessairement dans la vie des rituels et des initiations à subir avec renoncement pour enfin accéder à un niveau supérieur de la connaissance. Zorba n’allait pas abandonner pour si peu. Ce n’était, après tout, qu’un poisson pourri.
Les minutes puis bientôt les heures passèrent.
Diogène pouvait marcher pendant des heures, lentement, mais sûrement, cherchant au passage de quoi manger, de quoi boire, sans trop s’en faire, avec sa gueule de métèque, de juif errant et de pâtre grec, de voleur et de vagabond. (Moustaki)
Zorba suait abondamment. Le poisson puait toujours plus et les mouches tournoyaient autour du pauvre disciple. Il n’en pouvait plus.
-Maître Diogène, quand est-ce que l’on fait une pause?
Rien. Diogène ne dit absolument rien.
-Le sage est silencieux, se dit en lui-même Zorba, il teste ma résistance.
Alors Zorba continua de marcher, avec son poisson pourri, derrière Diogène.
Évidemment, le duo faisait sensation à Athènes.
-Eh! T’as vu Diogène, disaient les Athéniens, il promène un pauvre type avec un poisson pourri collé dans le dos!
-Eh! Ducon, ton poisson, dans ton dos, il est pas frais!
Et toutes ces sortes d’insultes, quoi.
Du coup, Zorba commençait à en avoir marre. Non, il n’était pas assez fort pour supporter tout ça. Notre homme cessa de courir comme un abruti derrière Diogène. Il lança son poisson pourri sous un olivier puis, honteux, revint sur ces pas.
Diogène l’interpella.
-Où t’en vas-tu comme ça Zorba?
-Chez-moi. Je n’ai rien appris aujourd’hui. Je me suis promené toute la journée avec un poisson pourri dans le dos sans même que tu daignes me parler. Je n’ai rien appris aujourd’hui! Je ne veux plus être ton disciple!
Zorba était mauve de colère et sentait franchement mauvais, même s’il s’était débarrassé de son poisson.
Diogène sourit. Tous les Athéniens s’attendaient à ce qu’il en sorte une bonne, comme seul Diogène en avait le secret. Ils ne furent pas déçus.
-Zorba, dit Diogène tout en le fixant droit dans les yeux, Zorba tu prétends donc n’avoir rien appris aujourd’hui? Tu ne veux plus être mon disciple?
-Oui! C’est cela! Je n’ai rien appris aujourd’hui!
-Tu n’as rien appris aujourd’hui? Diogène esquissa un large sourire. Ce matin-même, Zorba, tu étais prêt à me suivre n’importe où avec un poisson pourri collé dans le dos. Et maintenant que tu rejettes le poisson pourri, ne vois-tu pas que je t’ai appris à devenir maître de toi-même?
***
Des tas de gens autour de moi semblent se promener avec des poissons pourris dans le dos, sans le savoir. Ce poisson pourri peut être représenté par une idéologie qui nous dépossède et fait de nous de simples instruments de maîtres plus mal avisés que Diogène qui, au fond, enseignait la liberté.
***
Deux mil cinq cents ans plus tard, on peut encore rire de cette histoire. Grâce à Diogène de Laërte et Plutarque, entre autres, auteurs de l’antiquité de qui l’on tient quelques anecdotes sur Diogène le cynique.
Pour en savoir plus sur lui, vous devez absolument lire Les cyniques grecs de Léonce Paquet. C’est disponible en livre de poche.
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